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Le jamu indonésien, un remède 100% pur jus

Chaque peuple possède son propre système de santé par les plantes, plus ou moins élaboré selon les cultures. Sur l’île de Java, en Indonésie, est né voici plusieurs siècles un type de remède végétal qui présente des caractères bien spécifiques: le jamu, un jus frais de rhizome.

 

Vous avez dit Indonésie?

Représentant presque quatre fois la France en superficie et en population, l’Indonésie est un pays de démesure. On y compte, quelque 17000 îles, dont moins d’un millier sont habitées, et environ 700 langues différentes. Pour communiquer, les habitants emploient le bahasa indonesia, ou souvent l’anglais. L’Indonésie est l’un des premiers pays du monde pour la biodiversité végétale, avec plus de 30000 espèces de plantes vasculaires, dont un grand nombre ne poussent nulle part ailleurs dans le monde. La forêt couvre encore près de 50% du territoire, mais sa surface décroît régulièrement du fait de la déforestation intense, destinée à faire de la place aux palmiers à huile. Pour bien des gens, l’Indonésie se résume à Bali, mais le foyer historique du pays est l’île de Java, où se trouve la capitale, Jakarta (35 millions d’habitants).

 

Tous les matins à cinq heures, Ibu Daroni écrase soigneusement les rhizomes odorants de plusieurs plantes cousines du gingembre pour en extraire un jus qu’elle mélange avec le sucre tiré d’un palmier (Arenga pinnata). À sept heures, elle se rend au marché local dans un village au nord de Yogyakarta, le centre culturel de l’île de Java. Là se maintiennent vivantes des traditions centenaires, et toujours en vigueur aujourd’hui. Le jamu y est né, au xive siècle, dans le kraton, le palais du roi, pour soigner et surtout maintenir en pleine santé le sultan et sa cour. Ce qui caractérise le jamu, outre l’utilisation importante de jus frais de rhizomes, c’est l’intention de prévenir plutôt que de guérir, partant du principe que la meilleure façon de se soigner est de ne pas tomber malade !

 

Dessavoirs ancestraux

Vers midi, Ibu Daroni a vidé toutes ses bouteilles de jus médicinal et rentre à la maison. Elle fait partie d’un groupement d’une trentaine de producteurs mis sur pied dans les années 1980 pour répondre à une demande croissante en jamu gendong, spécifiquement préparé avec des plantes fraîches. Les rhizomes sont écrasés dans un mortier ou sur une meule en pierre. On ajoute de l’eau bouillie (pour éviter les contaminations) et l’on filtre en pressant dans un linge.

 

Autrefois, les vendeuses (car le jamu est traditionnellement une affaire de femmes) allaient à pied, portant dans une large bande de tissu un panier en bambou tressé rempli de bouteilles renfermant chacune un médicament différent. Aujourd’hui, elles y vont à moto. Toutes les familles du groupement font les mêmes préparations, entre dix et vingt, dont les recettes sont codifiées dans des ouvrages qu’il est facile de se procurer, mais on constate que le goût d’un même remède change souvent en fonction de la personne qui l’a concocté.

 

Les clients viennent de façon régulière, chaque matin, car leur but est avant tout de rester en bonne santé. Mais ils en prennent aussi lorsqu’ils tombent malades et peuvent alors demander une préparation particulière pour leur cas. Souvent, la vendeuse de jamu leur conseille un remède spécifique, propre à traiter le problème. Traditionnellement, les savoirs concernant les plantes et leurs mélanges sont transmis au sein de la famille, de façon héréditaire, mais aujourd’hui les gens partagent volontiers leurs connaissances. Il n’existe cependant pas d’école officielle de jamu.

En Indonésie, la préparation du jamu est généralement une affaire de femme. Les recettes se transmettent au sein de la famille.

 

Les remèdes de jamu considérés comme les plus efficaces sont souvent terriblement amers, tel le brotowalli, préparé à partir des tiges de Tinospora crispa, une liane aux tiges fines et curieusement bosselées, censée soigner efficacement le diabète. Nombre d’Indonésiens souffrent de cette maladie, en raison de leur goût immodéré pour les aliments sucrés. Pourtant, la plupart des clients font donc suivre la prise du médicament désagréable par un autre plus agréable au goût, le beras kencur (prononcé «kentchour»), à base de riz cru et du rhizome d’un cousin du galanga. Ces autres jus sont habituellement édulcorés au sucre de palme ou de coco, afin de se nettoyer la bouche de l’amertume du premier. Il peut sembler curieux d’avaler une boisson sucrée si l’on désire combattre son diabète, mais sans doute accorde-t-on une grande confiance au premier médicament si amer!



Remèdesfaciles à mettre en œuvre

Sur le marché de Selman, dans la banlieue de Yogyakarta, Nissa vend son jamu depuis plus de quinze ans. Ses fidèles clients défilent tout au long de la matinée, discutent quelques minutes, puis vident bravement le verre où elle a versé le contenu d’une de ses bouteilles. Nissa prépare son jamu à partir de poudres obtenues en broyant finement les rhizomes séchés de diverses zingibéracées, tel le gingembre rouge ou le zédoaire. Elle y ajoute un peu de sucre brun issu de l’inflorescence du cocotier, remplit le verre d’eau bouillante, remue soigneusement et le tend à son client qui, assis sur un tabouret, attend patiemment dans la moiteur tropicale. Il transpire à grosses gouttes en avalant la boisson brûlante, généralement suivie d’une seconde destinée à évacuer le goût trop fort du premier remède. Ces préparations à base de poudres pré- sentent l’avantage d’être faciles à mettre en œuvre. Mais les avis sont partagés quant à leur efficacité par rapport aux jus frais du jamu gendong. D’autres encore préparent directement des décoctions de plantes séchées qui ressemblent davantage à nos classiques tisanes. Ces trois formes de jamu sont traditionnelles sur l’île de Java et se rencontrent dans toute l’aire culturelle indonésienne, mais encore fautil veiller à ce que la tradition ne disparaisse pas.

 

 Outre les rhizomes, d’autres plantes aromatiques entrent dans la composition du jamu : poivre de Java, tamarin, calices de rosella ou mûres de mûrier.

 

 

 

Les rhizomes utilisés pour préparerle jamu

  • Les zingibéracées aux rhizomes aromatiques. Le type en est le gingembre, jahe (Zingiber officinale). Son cousin le puyang (Z. zerumbet), répandu dans la nature à l’état sauvage, est bu pour donner du tonus. Quant au bangle (Z. cassumunar), moins courant, il est analgésique et anti-inflammatoire.
  • Le curcuma (Curcuma longa) est apprécié, moins toutefois que son cousin le temu lawak (C. zanthorhiza), plus gros et moins coloré. Très proche aussi, le kunyet putih, curcuma blanc (Curcuma zedoaria), connu en français sous le nom de « zédoaire », a une saveur très amère. Il aide la digestion et purifie le sang.
  • Le grand galanga ou langkuas (Alpinia galanga) est davantage utilisé comme condiment en Asie du Sud-Est qu’en médecine, tandis que le petit galanga ou kencur (Kaempferia galanga) est l’un des composants principaux du jamu, en particulier avec de la poudre de riz cru. La saveur de son tubercule est poivrée et camphrée. Son cousin, un autre kunyet puti (Kaempferia rotunda), présente de petits tubercules réputés augmenter l’appétit des malades. Quant au temu kunci (Boesenbergia rotunda), ses tubercules jaunes allongés soignent la dysenterie, les douleurs abdominales et les problèmes buccaux.

 

«Bars à plantes»

C’est ce que pense Stephen Walla, le directeur de la fabrique de jamu IBOE à Surabaya. Son arrière-grand-père a créé en 1910 une petite entreprise qui s’est développée et commercialise dans tout le pays ses boissons médicinales, obtenues par déshydratation de décoctions d’une trentaine de plantes différentes. Stephen veut diversifier sa production et toucher un public jeune et moderne, pour qui le jamu représente le passé. Son équipe de production crée de nouveaux produits vendus dans les restaurants, les hôtels de luxe, les centres commerciaux, etc. Il veut mettre à la mode le concept de «bars à plantes». Et proposer, par exemple, des «glaces médicinales», obtenues en mélangeant les granulés solubles de ses sachets à une base de crème glacée. Stephen doit cependant observer des règles strictes édictées par le gouvernement. Les produits commercialisés doivent être enregistrés comme «remèdes traditionnels» par l’agence nationale du contrôle des médicaments et des aliments. Pour créer un nouveau produit, tous les ingrédients doivent être répertoriés dans la pharmacopée indonésienne. En outre, l’entreprise doit employer un pharmacien diplômé. Et au cours de leurs études, tous les pharmaciens étudient le jamu traditionnel, reconnu comme faisant partie intégrante du système de santé indonésien. Nova Dewi a quitté Surabaya pour Jakarta voici huit ans pour ouvrir son magasin de jamu dans la capitale. La petite société qu’elle a créée, Suwe Ora Jamu, a rapidement connu un grand succès et son magasin ne désemplit pas. Nova a appris avec sa grandmère à confectionner les breuvages médicinaux traditionnels, que tous les membres de sa famille consommaient régulièrement pour rester en bonne santé. Son approche est encore différente des autres, en ce qu’elle désire surfer sur la tendance du «naturel» qui se dessine de plus en plus clairement au sein de la classe moyenne supérieure du pays.

 

Jus préventifs et curatifs

Le concept est de servir des jus fraîchement préparés que l’on boit tout autant pour la découverte que pour l’effet bénéfique sur l’organisme. Elle propose la dégustation de huit jus successifs commençant par un mélange de kale et de tamarin, suivi entre autres de galanga, d’hibiscus, de gingembre rouge, de mûres de mûrier et de gingembre. En même temps, Nova a mis sur pied un programme d’éducation pour expliquer aux personnes intéressées les vertus des plantes, comment les cultiver, les préparer, et se constituer une pharmacie de plantes vivantes pour faire des jus préventifs et curatifs. Elle cible en particulier les jeunes, pour qui le jamu doit être «fun». Elle voyage à travers le pays pour donner des conférences. Il semble que le jamu, revisité, ait encore de beaux jours devant lui!

 

 

Texte et photos: François Couplan

Plantes & santé – n° 191 – juin 2018